l'embarquement sur le bateau "la belle Berthe"

Publié le par Gérard

Une fois la vente réalisée, les matelots arrachaient les gris-gris que nous portions autour du cou ou au poignet afin de tenter de nous couper de nos attaches africaines. Ensuite, ils procédaient à notre marquage au fer rouge (1) dans le but d’officialiser notre appartenance. Les hommes étaient marqués dans le dos et les femmes et les enfants qui étaient estimés plus fragiles à l’épaule. Un esclave qui était revendu plusieurs fois avait plusieurs marquages, un par vente, ce qui permettait d’un seul coup d’œil de connaître son identité : ses origines, son parcours d’esclave….

La vente avait porté sur environ le tiers des personnes détenues dans le baracoon où j’avais été retenu prisonnier. Mon ami Boloo se trouvait tout comme moi parmi les captifs achetés ce jour là.

J’ignorais le sort qui devait être réservé aux autres captifs du baracoon. Il est probable qu’ils avaient été mis de côté pour un ou plusieurs autres capitaines ou bien qu’un accord sur les conditions de leur vente n’avait pas été trouvé. Il est également possible que la pacotille qui était proposée par le capitaine de « la belle Berthe » n’était pas en totalité à la convenance des traitants.

A l’issue de la négociation, des marins et des hommes du baracoon nous regroupaient et nous dirigeaient vers une plage située à proximité où des chaloupes et d’autres marins nous attendaient.

Nos gardiens étaient accompagnés de solides chiens qui se seraient jetés sur nous pour nous dévorer s’ils n’avaient pas été tenus solidement en laisse. Ces chiens pouvaient faire penser aux buscadors espagnols qui descendaient des chiens des conquistadors et aux tristement célèbres chiens de Cuba que le général Rochambeau devait introduire à Saint Domingue au tout début du XIX siècle pour les dresser à pourchasser et à dévorer les Noirs insurgés.

L’histoire se souviendra que le général Rochambeau avait des méthodes de pacification très cruelles et, qu’un jour, à l’occasion d’une démonstration, il avait fait dévorer un Noir par des chiens de Cuba à seule fin de montrer l’efficacité de cette race de chien.

On se souviendra que les chiens ne s’étaient pas jetés spontanément sur le malheureux homme pour le tuer et le manger parce qu’ils avaient été perturbés par la musique qui était jouée à ce moment là. Le général avait ordonné qu’on ouvre le vente du supplicié et les chiens s’étaient alors jetés sur ce Noir pour accomplir leur horrible mission. J’ignorais si les spectateurs conviés à cet ignoble spectacle avaient applaudi. Je n’aurais pas été surpris si on m’avait apporté la preuve qu’ils aient de la sorte marqué leur satisfaction.

Sur le rivage se trouvait un groupe d’hommes et de femmes qui pleuraient, criaient et imploraient le ciel en levant les bras vers lui. Il s’agissait probablement de personnes parentes des personnes qui étaient embarquées ce jour là. Bien entendu, il leur était totalement impossible de venir en aide aux prisonniers en partance. Ils ne pouvaient rien faire d’autre que d’assister impuissants à leur départ et de prier pour eux.

Dans la chaloupe dans laquelle on m’avait fait monter, alors que nous nous approchions du navire de traite, un solide gaillard avait attrapé ses chaînes, s’était levé et avait cherché à passer par-dessus bord au risque de se noyer et de nous faire chavirer. Un marin situé derrière lui s’était alors levé à son tour et lui avait assené un violent coup de rame sur la tête ce qui l’avait assommé. Les marins qui occupaient la chaloupe avaient bien ri lorsque le malheureux homme s’était écroulé au fond de la chaloupe avec un grand bruit de chaînes et la tête en sang.

(1) Les pratiques du fouet et du marquage au fer rouge avaient été empruntées aux Romains.

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